Le biais du temps présent : l'une des causes de la procrastination
Ça y est : le projet est enfin terminé ! 12 mois de travail intensif, pendant lesquels vous avez eu l’opportunité d’encadrer 3 juniors. Une expérience enrichissante, qui ne s’achèvera réellement que lors des évaluations annuelles, pendant lesquelles les juniors seront aussi évalués en fonction des feedbacks que vous aurez fournis sur leurs travaux respectifs.
Vous connaissez par cœur la règle d’or du feedback : faites-le maintenant, tant que c’est encore frais dans votre tête, afin d’étayer chacun de vos commentaires d’exemples concrets – et pas dans 6 mois, quand l’échéance des évaluations annuelles vous aura rattrapé.
Mais un feedback, c’est long et difficile : vous devrez veiller à chaque mot, structurer chaque phrase…Déjà, votre esprit divague vers la liste des tâches opérationnelles que vous devez absolument réaliser. Répondre à Charlotte, planifie la réunion avec Maxime... Déjà, le quotidien vous a rattrapé – votre feedback attendra bien 24heures…
Ce qu’il se passe dans votre tête : le biais du temps présent
Nous connaissons tous bien la procrastination. Nous en avons entendu parler des dizaines de fois – et nous l’avons vécue plus de fois encore. Des livres, des vidéos par milliers sont dédiés au combat de cet étrange compagnon.
Mais la procrastination n’est qu’un symptôme, et elle a différentes causes, trop nombreuses pour être toute détaillées dans cet article. Ici, nous nous pencherons sur l’une d’entre elles : le redoutable syndrome du biais du temps présent. Très simplement, ce biais nous pousse à privilégier l’option la plus agréable à court terme – qui est, malheureusement, rarement dans notre intérêt sur le long terme. C’est le biais du temps présent qui fait bifurquer votre main de la pomme vers le gâteau ; c’est lui aussi qui vous fait choisir le blockbuster sur Netflix plutôt que ce documentaire sur Arte, que vous avez envie de voir depuis 3 mois.
Mais qu’y a-t-il d’agréable, me demandez-vous, dans le fait de traiter ses tâches opérationnelles ? Et pourquoi le biais du temps présent nous fait-il privilégier cette option ? Parce qu’il s’agit d’une habitude, que votre cerveau aura tendance à privilégier par rapport à un comportement nouveau.
Votre vie, y compris professionnelle, est remplie d’habitudes. Les habitudes suivent toutes une même boucle en trois parties, décrite dans le livre Le Pouvoir des Habitudes de Charles Duhigg : un signal, une routine, et une récompense. Le signal est le stimuli externe ou interne activant la routine : ici, c’est quand vous arrivez devant votre ordinateur. La routine est l’action déclenchée en réponse au signal : ici, traiter vos tâches. Enfin, la récompense est le sentiment de satisfaction perçue suite à l’action : vous aurez avancé dans vos tâches, et rayé des lignes de votre To Do.
Les routines permettent de soulager votre cerveau : une fois la boucle enregistrée, le déclenchement de l’action demandera un effort cognitif moindre à votre cerveau (qui est un peu paresseux). Parfois, vous n’aurez même pas besoin d’être conscient de l’action. C’est comme ça qu’il peut vous arriver de passer en « pilote automatique » : par exemple, vous rendre subitement compte que vous avez pris le métro en direction de votre travail, et pas du tout vers le restaurant où vous attendent vos amis. Dans l’exemple décrit plus haut, vous vouliez aller à l’encontre de votre habitude d’avancer sur vos tâches opérationnelles dès le matin, et de surcroît pour vous attaquer à une tâche difficile – un double effort cognitif pour votre cerveau.
Les habitudes sont puissantes – mais paradoxalement, elles sont aussi fragiles. Vous ne maîtrisez ni le signal (arriver devant votre ordinateur tous les matins), ni la récompense recherchée (la satisfaction d’avoir avancé dans vos tâches). La clé ? Changez la routine.
Les nudges à la rescousse : l’implémentation d’intention
Dans le précédent article, nous avions parlé de Gabriele Oettingen – rencontrez à présent son mari, Peter Gollwitzer (lui n’est pas prince, mais il est aussi psychologue, à l’Université de New York). Peter Gollwitzer a inventé le concept d’implémentation d’intention. Cela consiste à faire un plan d’action, avec un maximum de détails, sous la forme : « Si l’évènement est rencontré, alors je fais le comportement ». L’événement est ici le déclencheur capable d’enclencher la réalisation du comportement. Le simple fait de se visualiser entrain de l’action dans un contexte particulier, va pousser notre cerveau à faire une association entre si et alors, et ainsi à réellement répondre spécifiquement à un stimulus rencontré.
Pour aider votre cerveau à résister à ses habitudes, détaillez la situation pendant laquelle vous souhaitez travailler sur votre feedback.
Pourquoi ? Le principe de visualisation si-alors augmentera grandement la probabilité de l’action une fois la situation rencontrée. Grâce à cette formulation, vous n’êtes plus dans un état d’esprit motivationnel, à chercher les raisons de vos ambitions (Il faudrait que je le fasse pour…) : vous êtes sorti du domaine de l’intention pour vous questionner sur le où, quand, comment, et entrer réellement dans l’action (Lorsque ces conditions sont réunies, je le fais !)
Comment ? L’implémentation d’intention fonctionne lorsque vous imaginez une situation aussi précise et réaliste que possible : faites de votre déclencheur une action récurrente et la plus précise possible, et de votre comportement une action simple. Par exemple, écrivez « Quand je m’assieds devant mon ordinateur le matin, alors je consacre 30 minutes à mes feedbacks. »