Sciences

Vous êtes biaisé.e ? Bonne nouvelle : vous pouvez l’utiliser à votre avantage

Dans les années 70, Daniel Kahneman et Amos Tversky ont démontré que nous ne sommes pas capables d'analyser objectivement les choses en toutes situations. Au contraire, nous faisons assez souvent des erreurs ! Ces deux brillants chercheurs ont joué un rôle décisif dans la compréhension notre fonctionnement cognitif humain en introduisant la notion de « biais cognitifs systématiques ».

#Qu'est ce qu'un biais cognitif ?

Entre l'avion et le train, quel moyen de transport trouvez-vous le moins risqué ? Si vous pensez que c'est le second, vous faites un raccourci mental : vous utilisez les quelques éléments que vous avez en tête (les derniers accidents médiatisés par exemple) et vous jugez que leur fréquence est représentative (du risque de s'écraser en avion). C'est le biais de représentativité. En réalité, l'avion est statistiquement plus sûr que le train...

Les biais sont des "déviations systématiques de la pensée logique", au sens où dans certaines situations, on ne prend pas vraiment le temps (et les ressources) pour réfléchir. Ces biais ou raccourcis mentaux nous permettent d'éviter la surcharge cognitive, et de passer à l'action rapidement. Ils influencent notre manière de penser et d’agir de manière inconsciente. Et c’est pareil pour tout le monde car nous (les humains) sommes littéralement « câblés » pour fonctionner ainsi.

#Pourquoi notre fonctionnement est-il biaisé ?

Une hypothèse explicative de ce fonctionnement est avancée par les théories évolutionnistes. Nos ancêtres préhistoriques ont dû faire face au contexte dangereux qui les entourait : la nature à l'état sauvage, abondant de contraintes. Pour survivre dans différentes situations, la rapidité de l'action était décisive : ils n’avaient pas le temps de peser le pour et le contre, et agissait souvent en suivant leur « instinct » (et leurs expériences passées).

Voici un exemple pour bien comprendre : Imaginez un homme préhistorique dans la nature, qui sait depuis plusieurs jours qu’un ours rôde dans les parages en quête de nourriture (et évidemment, il craint de le rencontrer). Tout à coup, il voit un buisson qui bouge légèrement. En théorie, cela peut être l’ours qui vous chasse ou simplement l’effet du vent dans les feuilles. Dans cette situation, comment va-t-il agir ? Il adoptera certainement un comportement statique, pensant que l’ours est caché dans le bosquet (au lieu de peser le pour et le contre). En fait, il utilisera un biais de confirmation en surestimant la probabilité que le mouvement soit dû à la présence de l’ours et en agissant en conséquence (à tort ou à raison, mais rapidement).

Les Hommes auraient « conservé » ces mécanismes instinctifs au fil de l'histoire, puisqu’ils permettaient d’assurer la survie (dans l’exemple précédent, mieux vaut être trop prudent que pas assez !). Ces fameux mécanismes (qu’on appelle aujourd'hui des biais) se seraient alors transmis dans les gènes à travers l'enchaînement des générations... jusqu'à la nôtre.

Comme expliqué juste avant, nous utilisons encore ces raccourcis et autres biais cognitifs dans notre vie quotidienne. Cependant, le monde (occidental) d’aujourd'hui a beaucoup évolué : au quotidien, ces mécanismes ne servent plus directement à perpétuer l’espèce, mais à économiser notre système cognitif c’est-à-dire à éviter les raisonnements -plus couteux en énergie- (à tort, ou à raison !).

Admettons que vous ayez une réunion demain à 19h avec plus de six personnes, sur un sujet annexe à vos tâches principales. Évidemment, vous n’avez pas vraiment envie d’y aller en pensant que votre présence ne servira à rien mais l’on vous a dit que l’on comptait sur vous… Vous décidez donc d’aller à la réunion. En sortant de celle-ci, vous avez de grandes chances de penser que vous aviez raison, et que votre participation n’était pas nécessaire. Mais c’est peut-être que vous avez été influencé par le biais de confirmation ! En effet, il est possible que durant toute la réunion, vous ayez uniquement pris en compte les informations qui confirmaient ce que vous pensiez déjà (c’est à dire qu’aller à cette réunion était une perte de temps).

#Les nudges s'appuient sur ce fonctionnement biaisé

Heureusement, ce fonctionnement hérité ne constitue pas à lui seul notre système de pensée : nous sommes aussi capables de raisonner, de comprendre ces distorsions cognitives et même de les exploiter ! C’est l’idée de Richard Thaler et Cass Sunstein qui théorisent le « Nudge » comme une méthode douce pour inspirer la bonne décision. Le nudge est un petit coup de pouce, qui utilise nos biais cognitifs pour nous orienter vers « la décision la meilleure pour nous ».

Il faut admettre que nos actions ne vont pas forcément dans le sens de nos intentions (surtout quand il faut faire des efforts). Nous sommes pleins de beaux projets, de bonnes résolutions, de motivations à changer… et pourtant il est tellement difficile de passer à l’action pour de vrai ! Et ce n’est pas seulement une affaire de volonté, puisque vous savez maintenant nous sommes assez souvent influencés par nos biais cognitifs systématiques (le plus souvent de manière inconsciente).

Les nudges s’appuient justement sur ce fonctionnement biaisé. En modifiant légèrement un élément du contexte à un moment donné, ils permettent d’aider à l’adoption un certain comportement. Il faut garder à l’esprit que le nudge n’est qu’une incitation, toujours facultative dans la mesure où l’individu n’est jamais contraint d’agir et forcément « gagnant » (d’où le nom « coup de pouce » ;-).

Voici un exemple issu du contexte actuel : suite au COVID, de nombreuses entreprises ont mis en place un sens de circulation dans leurs locaux avec un marquage au sol (le plus souvent, ce sont des flèches). Ce système permet d’encourager les déplacements dans un sens plutôt qu’un autre et répond très bien à la définition du Nudge : l’individu est orienté vers un comportement qui lui est favorable, et ce, à moindre coût cognitif (c'est à dire sans avoir besoin de réfléchir à l'itinéraire le plus sûr).

La solution e-doing de Fifty s’appuie également sur ce principe de sciences comportementales pour accompagner le développement de compétences des collaborateurs. Fifty recommande des micro-actions personnalisées à mener sur le terrain et encourage le passer à l’action avec des nudges pertinents. Stop talking. Start doing !

Ariely, D., & Jones, S. (2008). Predictably irrational. New York, NY: Harper Audio.

Kahneman, D. (2012). Système 1/Système 2: Les deux vitesses de la pensée. Flammarion.

Thaler, R. H., & Sunstein, C. R. (2017). Nudge: la méthode douce pour inspirer la bonne décision. Vuibert.

Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. science, 185(4157), 1124–1131.